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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

Norma

Norma

Est-il encore nécessaire de la présenter ? Rendue célèbre en France par son troisième roman Purge (Stock, 2010) dont vous trouverez ma dirythambe ici, Sofi Oksanen est une auteure finlandaise au look gothique et à la plume crue. Son dernier roman, Norma, est publié en Finlande en 2015 et édité en France en 2017, toujours chez Stock. Après plusieurs romans dédiés au martyr de l’Estonie sous le joug soviétique, l’auteure a surpris ses lecteurs en publiant cette fois-ci un étonnant thriller moderne, bien différent de ses romans précédents.

« Norma » est un touchant portrait d’une marginale qui essaie d’échapper à son destin de bête de foire, doublé d’une critique sociale visant à dénoncer l’exploitation commerciale du corps des femmes, de l’utérus aux cheveux, « et les hommes qui continuent d’empocher les bénéfices ».

Amandine Schmitt pour Le Nouvel Obs

Une oeuvre étrange et dérangeante dont le climat noir évoque l’univers du cinéaste David Cronenberg.

Alexandre Fillon pour Lire

 

Raiponce n’était pas si mal lotie...

 

Depuis sa naissance, Norma est gouvernée par ses cheveux. Contrainte de les couper plusieurs fois par jour, sans quoi ils attireraient l’attention par leur pousse extraordinairement rapide, elle mène une vie solitaire, loin des regards des gens “normaux”. Pas un jour ne se passe sans que ses émotions ne se manifestent à travers sa chevelure, par des racines douloureuses, des pointes qui rebiquent, un cuir chevelu moite, une sensation de sifflement... Quand sa mère Anita, la seule à connaître son secret, est retrouvée morte dans le métro d’Helsinki, Norma ne comprend pas ce qui a pu la pousser au suicide. Très vite, elle se retrouve harcelée par les gérants du salon de coiffure où sa mère travaillait ; tous sont déterminés à savoir d’où viennent les extensions qu’Anita leur fournissait régulièrement et qui faisaient tout le succès du salon.

 

Fidèle à son style sans emphase ni pathos, Sofi Oksanen reprend à son compte la thématique de la chevelure magique sans tomber à aucun moment dans le conte ni la fable. Son roman n’est pas sans évoquer le conte de Raiponce, mais on est loin de la jolie princesse aux kilomètres de cheveux à la blondeur chatoyante et assumée. Son histoire est complexe, noire, sans paillettes. Son personnage ne tire aucune gloire de son état, qu’elle considère comme une anomalie et non comme un pouvoir, qui lui a valu d’être virée de tous ses emplois et de ne jamais avoir réussi à garder le moindre amant. Son secret, trop lourd à porter, l’isole complètement. L'on peut à peine parler de roman fantastique tant cet élément est ancré dans la réalité.

 

Tout le long du roman, Norma protège sa liberté perpétuellement entamée par ses cheveux et l’incompréhension des gens face à ses sautes d’humeur et ses absences, mais aussi par la pression qu’exercent sur elle les anciens supérieurs de sa mère, bien décidés à découvrir les mystérieux fournisseurs d'Anita. Elle aussi cherche à comprendre tout ce que sa mère lui a caché, mais elle est si repliée sur elle-même qu’elle semble vouloir se préserver du statut de personnage principal, prête à tout pour fuir la lumière et les regards.

 

Les première pages du livre sont obscures, l’on se demande qui est cette jeune femme accro aux médicaments et autres compléments, complètement obsédée par des cheveux ; de prime abord, Norma ne nous est pas bien sympathique, elle passe pour une chichiteuse asociale qui n’a rien de mieux à faire que de penser à ses pointes. Peu à peu, l'on comprend. Ses cheveux sont son enfer, ils poussent à une vitesse folle, et il a fallu toute l’ingéniosité possible pour parvenir à cacher ce phénomène pendant 30 ans. À la mort d’Anita, Norma ne perd pas seulement une mère mais sa meilleure alliée : parviendra-t-elle à garder son secret sans l’aide précieuse de sa mère ?

 

C’est avec ce soupçon de fantastique, ainsi que son caractère très actuel, que Norma se distingue le plus de ses prédécesseurs. L’histoire est moins imbibée de politique, l’on n’y retrouve plus cette obsession de l’oppression allemande et soviétique à l’origine de Purge et Quand les colombes disparurent. Cela dit, derrière cette étrange histoire de cheveux se cache une trame beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, ayant valu à l’ouvrage d’être cité par la presse comme un “thriller féministe”. Mais je n’en dirai pas plus là-dessus...

 

Dans les romans d’Oksanen, l’implicite est un personnage à part entière. Même une fois le livre terminé, certains éléments restent sibyllins. Une fois encore, l’on retrouve cette narration empreinte d’un sentiment d’urgence, comme si l’auteure n’avait pas le temps de tout nous expliquer par le menu, que c’était à nous de nous débrouiller pour démêler les fils de son histoire. Comme toujours, les premières pages sont incompréhensibles, obscures. Les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit, il faut être patient, prendre acte de chaque détail, chaque révélation implicite. Il faut accepter de patauger un peu au début ; et on l’accepte, parce que la plume d’Oksanen n’a plus rien à prouver.

Bref, j’ai trouvé Norma étrange, voire déconcertant, mais aussi captivant et bien ficelé. Ses personnages sont ciselés dans le plus pur style nordique, glacials et fascinants. Si l’auteure renouvelle radicalement le fond de son oeuvre, elle garde cette façon bien particulière de construire sa narration tout en allers-retours dans le temps. À l’instar de ses prédécesseurs, ce roman renferme une histoire complexe conçue comme un puzzle - une particularité de Sofi Oksanen que décidément j’apprécie toujours autant d’un roman à l’autre !

 

Camille Arthens

 

Norma, par Sofi Oksanen - Stock

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