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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

Stupeur et tremblements

Stupeur et tremblements

S’il devait y avoir un titre à retenir parmi l’ensemble de l’œuvre d’Amélie Nothomb, ce serait sans doute Stupeur et Tremblements, sorti en 1999. Pourquoi ? Il ne se distingue pourtant pas follement de tous les autres : comme toujours l’auteure y fait de l’humour noir, comme toujours la plume est leste, comme toujours le récit ne manque pas d’extravagance. Et pourtant. Après sept romans, Amélie Nothomb se lance pour la première fois sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur et transparaît dans ses livres selon moi les plus réussis : son expérience du Japon. Suite à son second roman Le Sabotage Amoureux – où il est question de son bref passage en Chine lorsqu’elle était enfant (éditions Albin Michel, 1993) –, l’écrivain s’aventure à nouveau sur les sentiers de l’autobiographie. À moins que ce ne soit ceux de l’autofiction... Vaste débat.

L’histoire est simple : au début des années 1990, la jeune Amélie est engagée comme interprète dans une grande compagnie japonaise. Enchantée au début de travailler dans ce pays qu’elle affectionne depuis sa plus tendre enfance, elle réalise peu à peu à quel point il est difficile pour une occidentale de s’intégrer dans l’univers nippon. En fin de compte, son année de travail au sein de la compagnie Yumimoto sera un véritable calvaire.

Stupeurs et Tremblements est un trésor d’autodérision : voilà à mon avis un facteur essentiel de son succès. La narratrice se moque d’elle-même avec une lucidité et un cynisme désopilants. Point trop de péripéties, mais plutôt une succession d’anecdotes assaisonnées d’une bonne dose d’égocentrisme. Certaines formulations sont fines et savoureuses. Il n’y avait guère qu’Amélie Nothomb pour rendre drôle et captivant le banal récit d’une employée malmenée par ses supérieurs hiérarchiques. L’essentiel de l’histoire tourne autour de ces petites persécutions, révélatrices d’un certain sadisme nippon. L'auteure en profite pour révéler qu'au Japon, le culte du devoir et de la perfection prend de telles proportions que les Japonais sont condamnés à une vie de soumission et de crainte. Tous vivent dans l’angoisse de perdre la face, ce qui est chose facile dans un monde où tout ce qui n’est pas impeccable constitue une cause de déshonneur. Engoncé dans ce qu’Amélie nomme ses « corsets mentaux », ce peuple a un bien étrange rapport à l’humiliation : leur quête de l’excellence n’empêche nullement les Japonais de s’humilier entre eux. Comme si être constamment écrasés par leur hiérarchie ne leur suffisait pas. À travers la belle et cruelle Fubuki, sa supérieure directe, la narratrice se penche plus particulièrement sur le sort des femmes nippones, enfermées dans un système et des devoirs absurdes. La manifestation du moindre sentiment, de la moindre inclination est considérée comme un comble de vulgarité, au même titre que la gourmandise, la paresse ou les odeurs corporelles. L’individualisme est anéanti à grands coups d’humiliations et d’interdits. Une Nippone doit se dévouer à son mari ou à son travail, faire des enfants, rester humble, ne pas s’aimer, ne rien ressentir. Sans prendre de gants, Amélie conclue : « je proclame ma profonde admiration pour toute Nippone qui ne s’est pas suicidée. » Et vlan.

Voilà peut-être ce qui rend le Japon si fascinant : ce côté poigne de fer dans un gant de velours, ce singulier mélange de splendeur, de rectitude et de cruauté. Sous couvert d'une petite histoire plus marrante que terrible, Stupeur et Tremblements met parfaitement en lumière ce paradoxe. 

Le roman obtient le grand prix du roman de l’Académie française en 1999, ex aequo avec Anielka de François Taillandier. Les 40 000 exemplaires initialement tirés ne suffisent rapidement plus et les ventes culminent à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.  

L’adaptation du roman, réalisée par Alain Corneau (connu notamment pour son film Tous les matins du monde), sort sur les écrans français en mars 2003.

Stupeur et tremblements

De prime abord, Sylvie Testud paraît plutôt convaincante dans le rôle d’Amélie avec son air d’ingénue un peu paumée et sa maîtrise impressionnante du japonais. Je dis bien « de prime abord ». La voix off débite un peu platement certains passages du livre que les images viennent étayer sans grande conviction. Très vite, il s'avère que la belle affiche du film ne tient pas ses promesses ! L’actrice est mal coiffée, mal fagotée, évolue dans des décors laids et parle d’une voix plaintive, nasillarde ; ses rires sonnent faux, ses pleurs sont embarrassants tant ils sont grotesques. Par son incroyable maladresse, l’Amélie du livre est drôle mais celle du film est complètement nunuche. Quelle ne fut pas ma stupéfaction, après avoir visionné le film, d’apprendre que Sylvie Testud avait reçu pour ce rôle le César 2004 de la meilleure actrice, avec moult éloges de l’Express, Les Echos, Le Figaroscope et j’en passe ! Certes, sa prestation en japonais est étonnante... mais cela ne compense pas le ton geignard et la moue de gamine qu'elle arbore sans arrêt.

De manière générale, le film a mal vieilli et manque de punch. Le pari de mettre à l’écran une histoire qui tirait son principal intérêt de la plume ironique et alerte de l’auteure était risqué, et pour cause : le résultat est fade et ennuyeux. Le récit est globalement bien respecté, à quelques petites omissions près, mais tout est plus sage que dans le roman. L’avantage, c’est que Corneau offre une vision du Japon un peu moins caricaturale que celle de l’auteure. L’inconvénient, c’est qu’on y croit moins : c’est moins drôle, moins beau. Par exemple, Amélie Nothomb raconte qu’elle avait l’habitude de regarder la magnifique vue sur Tokyo qu’offrait une immense baie vitrée à l’étage où elle travaillait. Dans le film, cette vue est matérialisée par une triste fenêtre dans un couloir terne. Un détail, me direz-vous. Oui, mais un détail significatif.

Autre détail : la musique. Alain Corneau a choisi pour son film les Variations Goldberg de Bach et les met à l’honneur depuis le générique de début (qui dure plus de deux minutes), jusqu’au générique de fin. Loin de moi l’idée de dénigrer l’œuvre de Bach, mais je ne vois pas bien ce que celle-ci faisait dans ce film. En tout cas, elle ne contribue pas à lui donner de l’élan, loin s’en faut. Peu importe que la stricte régularité des morceaux de Bach soient un reflet de l'implacabilité nippone : au bout d’une heure de film, ce son de clavecin a quelque chose de franchement exaspérant. 

 

EN BREF

Voilà encore une adaptation qui n’est pas à la hauteur du livre dont elle s’inspire. Cela dit, je conseille vivement de privilégier la version originale (en japonais) à la version française, qui est pour moi, et de loin, la plus mauvaise des deux. Quant au roman, il est idéal pour passer un bon moment, s’immerger dans un univers très singulier et rire un bon coup.

 

Cam

Stupeur et Tremblements, par Amélie Nothomb - Albin Michel

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