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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

La mer, le matin

La mer, le matin

Margaret Mazzantini a déjà reçu moult éloges de ma part sur ce blog. J’avais adoré son roman Venir au monde sur le siège de Sarajevo, une histoire profondément poignante qui m'avait littéralement prise aux tripes. C’est donc avec plaisir et curiosité que je me suis attaquée à une autre de ses oeuvres : La mer, le matin, paru en 2011 en Italie sous le titre original Mare al matino, puis édité chez Robert Laffont en 2012.

Contrairement à l’imposant Venir au monde, ce roman se présente sous la forme d’un très court récit aux allures de conte, simple et dépouillé à l’image de ses personnages. Cette sobriété se retrouve jusque dans son titre, que Margaret Mazzantini a choisi plus évocateur qu’explicite.

 

 

Ode sans joie à la Méditerranée

La mer, le matin mêle trois histoires. Celle de Farid et sa mère Djamila, contraints de fuir la Lybie de Kadhafi par la mer pour rejoindre l’Europe ; celle d’Angelina et de ses parents, expropriés et chassés de Tripoli quarante ans plus tôt avec quelque treize mille autres colons italiens ; et celle de Vito, le fils d’Angelina, témoin de la souffrance de cette femme déracinée, vivant à présent sur la côte sicilienne, là où échouent chaque jour les débris des barques de centaines de clandestins engloutis par la mer. Trois histoires reliées par la mer et la perte de repères. Tous les personnages de ce récit ont un rapport à la mer complexe, changeant, révélateur de son rôle sur leurs existences bouleversées : plus qu’une étendue d’eau, la Méditerranée est un passage entre deux mondes, une promesse, une marchande de rêves et une tueuse. Indomptable, capricieuse, elle effraie et fascine, désigne les condamnés et ceux qui toucheront la terre vivants. La mer, dans cette histoire, est Dieu. C’est elle qui décide. Son mystère se retrouve d’ailleurs dans le titre du roman : La mer, le matin. D’une simplicité déconcertante, ce titre évoque tout. Le calme souverain de la mer, la beauté, l’immensité, la renaissance, mais aussi l’appréhension, le temps suspendu, instant de paix ou attente mêlée d’angoisse. L’on y devine la toute-puissance des eaux qui, au matin, libèrent des hommes ou en vomissent les cadavres.

 

Par ce chant à la mer aux accents chauds et ensoleillés, l’auteure rend un bel hommage à la culture maghrébine et condamne le régime de Kadhafi, responsable du déracinement et de la mort de milliers de migrants. Elle se penche également sur l’enfer de la perte d’identité, l’errance forcée des immigrants qui, bien qu’Italiens pour la plupart, sont mis au ban d’une société à laquelle ils n’appartiennent pas vraiment. Ils étaient Lybiens et Italiens mais ont subitement la sensation de n’être plus ni l’un ni l’autre. Chassés de Lybie, marginalisés en Italie, ils sont comme rayés du monde, transparents. Pour ces gens-là, la reconstruction est longue, parfois impossible.

 

Deux articles de presse ont grandement attiré mon attention, tant les mots sont justes pour décrire cette histoire tristement réelle :

 

La Mer, le matin est une complainte dépouillée où Margaret Mazzantini montre les séquelles de la colonisation et du déracinement, sur fond de révolutions arabes. Avec, pour seule étoile, ce courage héroïque que le désespoir donne aux mères, quand elles deviennent des naufragées de l'Histoire.

André Clavel pour l’Express

Dans ce dernier roman, elle a mêlé la sensualité du conte africain, osant une poésie qui rappelle le Le Clézio de Désert, au mordant du réquisitoire.

Françoise Dargent pour Le Figaro

 

Ce roman n’est pourtant pas excellent. La plume à fleur de peau rend certains passages maladroits et dispersés. L’émotion, palpable dans chaque phrase, s'impose quelquefois jusqu’à l’écoeurement et alourdit quelque peu le style, qui se veut pourtant poétique et délicat. Dommage... Quoi que cela ne gâche pas la justesse du récit, sublimée par sa simplicité et sa brièveté.

La comparaison avec Venir au monde est difficile puisque La mer, le matin est autant un roman qu’un récit ou un conte. Cela dit, les deux oeuvres se rapprochent de par la condamnation qu’elles renferment : Margaret Mazzantini semble faire sien le thème de la persécution. Venir au monde reste à mon sens infiniment plus puissant, parce que plus dense, plus cru, plus haletant. La mer, le matin tend davantage vers l’esquisse stylisée que vers la grande fresque tout en détails. J’en recommande la lecture (et celle de Venir au monde, évidemment), ne serait-ce que pour apprécier ces deux manières de dénoncer par la plume - mais aussi pour le plaisir de lire un récit émouvant parce que réel, tout simplement.

 

Camille Arthens

La mer, le matin, par Margaret Mazzantini - Robert Laffont

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