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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

Le fils

Le fils

Déjà salué par la critique lors de la sortie de son premier roman, American Trust, en 2009 (publié en France aux éditions Denoël en 2010 sous le titre Un arrière-goût de rouille), Philipp Meyer a définitivement conquis le public avec son second livre paru en 2013 et rapidement best-seller aux tats-Unis : The Son. En France, le titre est sobrement traduit par Le Fils et l’oeuvre est éditée par Albin Michel en 2014. Elle fut largement plébiscitée par les libraires et les médias dès sa sortie.

La traduction de Sarah Gurcel contient quelques (rares) fautes fâcheuses, heureusement noyées dans la densité du texte.

Philip Meyer, qui signe avec Le Fils son deuxième roman, mais le premier publié en France, y déploie une virtuosité d’écriture fascinante, entremêlant les voix et les périodes, dans une histoire qui se déploie sur plus de 170 ans et nous permet de mieux comprendre l’origine de cette violence inhérente à la société américaine.

France Inter

Une fresque sidérante, un tour de force littéraire.

Julien Bisson pour Lire

 

Une grande fresque familiale retraçant l’histoire sanglante du Texas

L’histoire se déroule sur plus de 150 ans. Tout commence quand Eli McCollough, adolescent de 13 ans, se fait kidnapper par les Comanches après avoir assisté au massacre de sa famille. On est alors en 1849 : le Texas est à feu et à sang, les propriétaires terriens vivent dans la terreur des attaques comanches et les conflits entre Américains blancs, Indiens et Mexicains sont violents et incessants. Adopté par le chef de tribu et contraint d’adopter une nouvelle culture, Eli apprend rapidement à tirer à l’arc, chasser, dépecer les animaux, tanner les peaux, scalper et participer aux raids que les hommes de sa tribu organisent régulièrement contre les Blancs et les Mexicains. Il ne quitte les Indiens que trois ans plus tard, à regret, et ne se réadapte jamais complètement aux us et coutumes des Blancs. À jamais débarrassé de tout scrupule et de toute pitié, il bâtit peu à peu ce qui deviendra un véritable empire terrien.

Trois générations de la famille McCollough sont mises à l’honneur d’un chapitre sur l’autre : Eli, le fondateur de “l’empire McCollough”, qui est parti de rien après plusieurs années à vivre parmi les Indiens ; son fils cadet, Peter, le pacifiste incompris qui n’est manifestement pas né au bon endroit ni à la bonne époque ; et son arrière-petite-fille, Jeanne Anne, qui passe sa vie à chercher sa place parmi les hommes d’affaires, à une époque où les femmes étaient censées s’occuper des enfants et laisser leurs maris gérer le reste.

Trois personnages, trois points de vue, trois époques. Trois manières de les faire raconter, aussi. Eli, sûr de lui, se livre à la première personne sans pudeur ni états d’âme. Jeanne Anne, un peu dépassée malgré le masque qu’elle s’est forgée, est présentée à la troisième personne ; elle n’a de cesse de prendre sur elle pour offrir à ses adversaires une apparence forte et implacable, réalisant vite qu’il est impossible d’être respectée sans être crainte. Finalement, elle finit sa vie sans avoir jamais réussi à faire oublier sa condition féminine, si handicapante à l’époque. Peter, sensible, rejeté par tous malgré son empathie et sa sagesse, s’exprime quant à lui à travers son journal. Son discours est donc moins académique, plus spontané. Dans une société où chacun trouve sa place par la force, lui ne trouve pas la sienne.

 

La rédaction de ce roman ne fut pas de tout repos, l’auteur n’ayant pas hésité à se mettre dans les conditions de son personnage central Eli (adopté par les Indiens puis Ranger !), pour plus de réalisme. Il a appris à chasser, à tirer à l’arc, à manger des plantes, à reconnaître certaines odeurs... Alliant la théorie à la pratique, il a aussi lu plus de 300 livres sur le sujet de la conquête de l’Ouest. Le résultat de ses quatre années de rédaction est captivant, avec notamment de multiples descriptions de parties de chasse, de batailles ou de dépeçages. Certaines scènes de massacres, de tortures et de meurtres sont assez dures et révèlent à quel point le Texas s’est bâti sur la violence, la haine et la vengeance, à une époque où les droits de l’homme et l’écologie n’étaient pas très à la mode. Chassés par les Mexicains, eux-mêmes malmenés par les Blancs, les Indiens seront les premières victimes de cette conquête acharnée.

 

Le Fils est un roman très ambitieux aux allures d’épopée ; les rares longueurs que l’on pourrait lui reprocher contribuent en réalité à lui donner de l’amplitude. Le récit se déroule comme un film, au son du galop des chevaux et du sifflement des lassos. Son contenu a un peu dérangé les lecteurs américains en ce qu’il remet en question les grandes légendes de la création de l’Amérique. Le Blanc, dans ce livre, n’a rien d’héroïque ; il est même tout aussi “barbare” que les Indiens qu’il n’a de cesse de parquer, de civiliser, voire d’exterminer. Philipp Meyer livre une version certes romancée de l'histoire du Texas, mais ne cherche pas à la dramatiser outre mesure : ni pauvres innocents, ni morale simpliste ne viennent polluer la vérité historique. Le seul personnage qui n’accepte pas cet ordre brutal des choses, Peter, de loin le plus humain, est mis à l’écart par ses pairs et moqué par tous. C’est pourtant lui “le fils”, celui que son père ne comprendra jamais, celui qui s’opposera désespérément à l’extermination de toute une famille mexicaine et à bien d’autres actes barbares, celui qui restera à la fois le canard boiteux et le mystère de toute une famille sur plusieurs générations. En livrant son journal intime et en en faisant la seule personne compatissante de la famille, l’auteur rapproche ce personnage du lecteur bien plus que les deux autres, Eli et Jeanne Anne : c’est à lui, le gentil, le lucide, que nous nous identifions. Sous couvert de faiblesse et de sentimentalisme, Peter est le seul à prendre de la hauteur sur les atrocités commises par son propre père et ses propres fils. Ses valeurs modernes, son objectivité et son impuissance le hissent presque à notre niveau : comme nous, il trouve atroce les injustices de ce récit, et comme nous il ne peut pas en changer le cours.

 

Roman à lire, en somme ! Nul besoin de jeter un oeil au livre pour deviner, étant donné le sujet et l’entrelacement de trois histoires, qu’il s’agit d’un pavé. À la fois saga familiale, fresque historique, documentaire, western, il remplit à merveille tous ses offices et nous plonge dans une Amérique en ébullition, thème qui n’a pas fini de fasciner le monde entier.

 

Camille Arthens

 

Le fils, par Philipp Meyer - Albin Michel

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