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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

Pas pleurer

Pas pleurer

Pas pleurer fait partie de ces nombreux romans que j’ai entamés sans rien savoir de leur contenu ni de leur auteur. Il trouve sa place aussi dans la catégorie des excellentes surprises, riche d’un style dépaysant et d’une histoire comme je les aime, entrelaçant histoire contemporaine et récit de vies. Lydie Salvayre y relate la jeunesse de sa mère au moment de la révolution de 1936 et des sombres années qui suivirent. Son roman est publié en 2014 au Seuil et couronné du Prix Goncourt la même année.

Le mérite du livre de Lydie Salvayre est de mettre en symétrie deux vérités d'une même réalité historique, et de saluer la puissance de la jeunesse catalane. Deux voix, deux langues, pour une tragédie dont le lecteur connaît l'issue.

Hubert Artus pour L’Express

Avec sensibilité et insolence, elle [Lydie Salvayre] proclame magnifiquement sa fidélité au langage de la jeunesse. Et démontre que cette langue, qui n’a rien à voir avec l’âge, relève d’abord de l’obstination, de ­l’héroïsme et de la grâce.

Jean Birnbaum pour Le Monde

Folies d’Espagne

 

La vieille Montserrat, mère de la narratrice du roman, avait 15 ans lors de la révolution espagnole de 1936. Jeune paysanne pauvre et éduquée à coups de dogmes et de ceinture comme la plupart des enfants de son milieu, elle est entraînée à la ville par son grand frère aux idées libertaires et y vit l’été le plus fabuleux de sa vie, celui dont le souvenir éclipsera tous les autres. La narratrice donne la parole à sa mère et croise son témoignage très personnel avec celui, beaucoup plus engagé, de Bernanos, un écrivain français qui séjournait à Majorque lorsque la guerre civile éclata et en dénonça toute l’horreur dans son ouvrage Les Grands cimetières sous la lune (1938).

 

En offrant une double vision de la guerre d’Espagne, Lydie Salvayre donne à son roman, déjà particulièrement vif par son style oral, un relief intéressant. D’un côté, nous avons l’écrivain Bernanos, qui s’engage par sa plume dans une résistance farouche contre, notamment, la corruption du clergé qui absout les miliciens franquistes à tour de bras en fermant les yeux sur leurs innombrables meurtres ; de l’autre, Montse, la jeune paysanne qui ne voit rien d’autre de la guerre qu’une liesse irrésistible et se pique de libertarisme plus par romantisme naïf que par réelle conviction politique. Elle raconte ses souvenirs de l’époque dans un français maladroit et comique, parsemé de mots mal prononcés et de phrases entières dans sa langue natale. Au début, tout cet espagnol est pour le moins déroutant, surtout quand on n’a pas choisi espagnol seconde langue au collège et au lycée… Mais au fil du récit, l’on découvre toute la vie qu’insufflent ces formules étrangères à cette histoire qui sent l’olive et l’amande et résonne des voix puissantes du petit peuple ibérique.

 

C’est précisément avec ce style singulier, ces formules étrangères, parfois grossières, que Lydie Salvayre nous plonge en pleine Catalogne rurale : en nous laissant entendre ce jargon sans poésie, en truffant son texte de formules espagnoles, bref en nous faisant renoncer à une lecture confortable et distante en bon françois !  La vulgarité de ce roman, déplorée par certains lecteurs, ne m’a pas du tout choquée justement parce qu’elle trouve sa place dans le récit, elle n’est pas gratuite mais signifiante. Il faut garder à l’esprit que cette histoire est racontée par une vieille dame qui ne maîtrise pas le français, qui devient provocante et grossière avec l’âge (précision apportée par la narratrice au fil du récit) et qui rapporte des faits qui se sont produits dans un petit village de campagne habité par des paysans qui ne mâchaient pas leurs mots. L’auteure a simplement et judicieusement choisi un style qui colle à ce qu’elle a choisi de raconter.

 

A propos du récit lui-même, il est nourri d’une réflexion sur les processus conduisant les masses à rallier une cause, à l’épouser avec ferveur puis à s’en détourner tout aussi radicalement, parfois avec honte, comme d’un moment d’ivresse inavouable. En ces sombres années 30-40, ce mécanisme a trouvé partout en Europe de trop nombreuses preuves de sa prédominance sur la raison, l’éthique, et jusqu’à l’humanité. Et si les horreurs commises par les nazis en Allemagne sont désormais consignées dans les livres d’histoire, l’Espagne eut elle aussi son propre lot d’atrocités, bien qu’assez méconnues aujourd’hui.

Certains personnages sont caricaturaux, sortes d’archétypes du catholique borné, ce qui n’aide pas à redorer le blason du christianisme déjà bien noir dans ce roman ; une pointe d’humour dont la pertinence fait l’objet de débats entre lecteurs. Cela dit, le roman n’est pas manichéen et Lydie Salvayre ne manque pas de faire état des horreurs commises par les libertaires sur des prêtres sans même chercher à savoir s’ils étaient réellement franquistes.

Pas pleurer est le témoignage d’une sombre période de l’histoire d’Espagne, une guerre civile qui horrifia les uns et exalta les autres. En pleine révolution, la jeune Montserrat représente une jeunesse déconnectée de la réalité (ou du moins d’une réalité politique), une part de la population pour qui ces conflits n’étaient que de lointaines magouilles politiques. Car même au coeur de la guerre, de la corruption, de l’injustice et des brimades, la vie continue avec son lot de petits bonheurs et de rêves égoïstes.

 

Camille Arthens

 

Pas pleurer, par Lydie Salvayre - Le Seuil

 

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