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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

Un jour ce sera vide

Un jour ce sera vide


Je n’ai pas arrêté de lire ces derniers mois, mais il a fallu ce livre-là pour me remettre à l’écriture. Après une longue pause, ce blog reprend donc vie avec Un jour ce sera vide, le premier roman d’Hugo Lindenberg publié en 2020 aux éditions Christian Bourgois. Une grande claque dans ma face d’ex-gamine complexée.

“Plus qu’un premier roman, un grand roman.”

Jérôme Garcin pour Le Nouvel Obs

“Il ne se passe rien, tout est intériorisé dans une très belle écriture. Tout est dans les silences, les gestes, les rêves de cet orphelin de dix ans.”

Tewfik Hakem pour France Culture (Le réveil littéraire)

 

“Rien ne m’est plus étranger qu’un garçon de mon âge.”

 

Le narrateur est un jeune orphelin de 10 ans qui passe l’été en Normandie avec sa grand-mère. À la plage, il rencontre le petit Baptiste, son exact opposé : Baptiste est solaire, insouciant, sans complexes et a une famille parfaite. Commence alors pour le narrateur une amitié très intense, mêlée de vénération et d’angoisses.

 

J’ai adoré ce roman. Sa grâce, sa justesse, sa drôlerie, tout m’a touchée. Les considérations enfantines dont il est constitué de bout en bout ont bouleversé l’enfant que je suis restée, complexée, sans assurance, tout comme le petit narrateur. Jamais je ne me suis autant retrouvée dans un récit, jamais je n’ai autant fusionné avec un personnage - c’est une sensation très étrange, à la fois grisante et un peu embarrassante.

Le narrateur est un petit garçon constamment traversé par des émotions très fortes, qui constituent d’ailleurs les principales périphéries du roman. Inhibé à l’extrême, il ne s’attendait pas à être abordé par un garçon de son âge, Baptiste, alors qu’il triturait un cadavre de méduse au bord de la mer. À l’initiative de Baptiste se noue entre eux une très belle amitié, qui ravit le narrateur autant qu’elle le tourmente. Pourquoi ce garçon parfait s’est-il intéressé à lui ? Combien de minutes, de secondes lui faudra-t-il avant d’être déçu et de fuir ? Terrifié à l’idée d’être percé à jour et donc, selon lui, de susciter la répulsion de son nouvel ami, le narrateur adapte ses goûts, sa gestuelle, ses manies à Baptiste.

 

“... ce n’est pas un tic, mais le spectacle le plus chic auquel il m’ait été donné d’assister. Il s’agit de souffler depuis l’extrémité droite de ma lèvre inférieure en direction de mon oeil tout en relevant la tête d’un geste sec. C’est ce que fait Baptiste pour remettre en place la mèche qui couvre parfois son oeil droit. Une chose qui n’appartient qu’à lui et que j’imite comme une prière devant le miroir de la cheminée dans la chambre que je partage avec ma grand-mère.”

 

N’avez-vous jamais tenté, enfant, de forcer votre nature pour ressembler à cet autre que vous admiriez ? En l'occurence, le processus est d'autant plus difficile que les deux garçons sont très différents. Baptiste semble accueillir tout ce qui lui arrive avec une pureté désarmante. Le narrateur, lui, nourrit des sentiments contradictoires pour cet ami qu’il vénère et qu’il a peur de décevoir. De manière générale, tout ce qu’il raconte est empreint de peur et de honte ; c’est un personnage qui refuse d’être acteur de sa vie et excelle dans l'art de l'effacement - il n’est d’ailleurs jamais nommé.

 

“Parfois je tuerais pour savoir ce qu’il y a dans la tête de Baptiste. Je le tuerais lui. Quand il ne parle pas, je ne sais plus où il est et je m’en veux d’être incapable de penser à autre chose, d’être vide à l’intérieur. Je suis comme une grosse méduse dont les filaments seraient tous tendus vers lui.”

 

On ne sait pas grand-chose de la vie du narrateur. Le lecteur ne peut que deviner l’empreinte de grands drames qui ne sont jamais tout à fait révélés. Le petit garçon est élevé par sa grand-mère, une femme peu causante qu’il adore. Où sont ses parents ? Que s'est-il passé au sein de cette étrange famille ? Rien n'est vraiment dit, tout est suggéré. En tout cas, c’est la deuxième belle relation du livre, de celles qui se déploient dans les détails, pudiquement.

 

“Je la regarde, assis sur un tabouret. Je ne fais rien. Bientôt ça l’agacera. Que je la regarde comme ça, que je ne fasse rien. Elle me chassera comme une mouche, d’un claquement de langue. Mais je peux encore étirer le moment, l’observer, à condition de ne pas faire trop de bruit. C’est ma manière à moi de l’aimer. Une manière de chien.”

Hugo Lindenberg réussit à organiser un fatras de petites actions du quotidien et de doutes sans importance en un roman d’une très grande sensibilité. Voilà exactement comment j’envisage un bon auteur : comme un magicien capable de rendre palpitant le fait le plus commun, l’histoire la plus simple. Nul doute que sous la plume de cet auteur-ci, nos enfances à tous deviendraient un merveilleux roman.

 

Camille Arthens

Un jour ce sera vide, par Hugo Lindenberg

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C
Finalement, la vie intérieure a son intérêt. Ceux qui ne se sont jamais penchés dessus, ou trop vite, n'en perçoivent que trop tard l'importance. <br /> Espérons que baptiste ne l'apprenne pas trop tard.
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