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Des romans, encore des romans, toujours des romans.

Bouquinivore

D'après une histoire vraie

D'après une histoire vraie

Première surprise de l’année ! Delphine de Vigan m’a bluffée avec D’après une histoire vraie, un épais roman publié quatre ans après Rien ne s’oppose à la nuitque j’avais beaucoup aimé aussi, dans un tout autre style. Paru en 2015 aux éditions JC Lattès, l’ouvrage a rencontré un beau succès et a été couronné du Prix Goncourt des lycéens et du Prix Renaudot. En 2017, l’histoire est adaptée au cinéma par Roman Polanski, avec Emmanuelle Seigner et Eva Green.

 

LE LIVRE

Mettant en scène ce double d'elle-même, jouant de la porosité des frontières qui séparent le réel et la fiction avec une conviction qui donne par instants le vertige, sculptant la métaphore, Delphine de Vigan confère à son opus un enjeu intellectuel et esthétique passionnant.

Nathalie Crom pour Télérama

On ne quitte plus dès lors ce roman troublant qui brouille de manière très maligne les frontières entre fiction et réalité. Delphine de Vigan est redoutable à ce jeu.

François Dargent pour Le Figaro

Double manipulation

Alors que son dernier livre a fait une entrée très remarquée sur la scène littéraire, Delphine fait la rencontre d’une très belle femme, L., avec qui elle noue rapidement une profonde amitié. Les deux femmes deviennent inséparables et discutent beaucoup, en particulier de l’avenir de Delphine en littérature ; peu à peu, celle-ci perd confiance en elle et sombre dans la dépression tandis que L. prend de plus en plus de place dans sa vie, critiquant ses idées de roman et faisant le vide autour d’elle.

 

Je connais bien les écrits de Delphine de Vigan : Jours sans faim, No et moi (critiqué ici), Les heures souterraines, Rien ne s’oppose à la nuit... J’ai lu la plupart de ces romans, en ai beaucoup aimé certains et les ai tous trouvés intéressants. Mais celui-ci est pour moi, de loin, le meilleur livre qu’elle ait jamais écrit.

 

D’abord, cette histoire de relation toxique m’a beaucoup plue et contrairement à certains lecteurs et journalistes, je ne l’ai trouvée ni trop longue ni trop lente. La narratrice raconte très bien le processus par lequel elle s’est retrouvée gouvernée par L., avec force détails et anecdotes très agréables à lire. Certains dialogues ne sont pas criants de naturel, un ou deux détails m’ont semblés un peu tirés par les cheveux, mais c’est bien peu à côté du plaisir que j’ai pris à lire ce livre bien ficelé et écrit avec une plume sans fioritures, fluide et sincère.

 

La tendance qu’a Delphine de Vigan à mêler son vécu à ses histoires m’a toujours beaucoup plue, mais c’est dans ce roman que ce mélange est le plus abouti, le plus travaillé, au point d’être le fil rouge de l’histoire, la réflexion transversale du récit. Car cette fois, l’auteure ne se contente pas de romancer une partie de sa vie, elle joue avec les codes du roman. La narratrice porte son nom, elle aussi vient d’écrire un roman très personnel sur sa mère, elle aussi a déjà abordé le thème de l’anorexie et de la souffrance au travail, elle aussi a deux enfants et un compagnon animateur littéraire s’appelant François (Delphine de Vigan étant la compagne de François Busnel) ; bref, tout porte à croire que cette histoire est vraie, que nous lisons une nouvelle autofiction. Après avoir écrit un roman très fort et très personnel, la narratrice se retrouve face à la grande question que se voient poser tous les auteurs de best-seller : qu’écrire après un tel livre, aussi personnel et aussi “vrai” ? Une question qui a justement été posée à Delphine de Vigan elle-même, qui offre avec ce livre une réponse tout à fait inattendue.

Ainsi, persuadée de la véracité des faits (d’autant plus que le livre précédent était autobiographique), j’ai dévoré le début du roman totalement sous le charme, avant d’aller fouiner sur internet et découvrir stupéfaite que cette histoire d’amitié toxique était totalement inventée. Coup de maître ! Avec son titre et ses éléments copiés de la réalité, l’auteure manipule le lecteur et modifie son rapport au roman, de la même manière que L. manipule Delphine dans le livre. Aurais-je été aussi captivée par ce récit si je l’avais su fictif dès le départ ? Je dois admettre que je n’en suis pas sûre.

Cette manipulation du lecteur fait écho aux nombreuses conversations qu’ont les deux personnages à propos du prochain roman que Delphine doit écrire :

 

“Tes personnages doivent avoir un lien avec la vie. Ils doivent exister en dehors du papier, voilà ce que le lecteur demande, que ça existe, que ça palpite. Pour de vrai, comme disent les enfants. Tu ne peux pas être à ce point dans la construction, dans l’artifice, dans l’imposture. Sinon tes personnages seront comme des mouchoirs en papier, on les jettera après usage dans la première poubelle venue.”

 

Ce roman pose les mêmes questions que Les faux monnayeurs d’André Gide - roman génial justement par son traitement de la porosité entre le vrai et le faux dans la littérature : un roman doit-il retranscrire le vrai ou rester dans la fiction ? Les romanciers sont-ils des escrocs de la vérité ? Et plus généralement, où est la frontière entre le vrai et le faux, la réalité et l’artifice ?

Le personnage de L. est lui-même ambigu comme un roman : c’est un mélange de réalité, de sincérité et de construction, de manipulation. Pourtant, derrière son image très travaillée, elle défend la Réalité brute tandis que Delphine, qui est une personne naturelle et sans artifices, défend la fiction. Curieux paradoxe, qui donne un relief intéressant aux personnages, au sujet, au livre lui-même ; d’ailleurs, à mesure que l’histoire avance, Delphine de Vigan multiplie les allusions au clivage réalité/fiction au point de brouiller les contours du réel. Cette problématique déborde des discussions entre L. et Delphine et contamine le roman entier. La fiction prend beaucoup de place sous différentes formes : les rêves étranges que fait Delphine de plus en plus souvent, les films et les livres qu’elle associe à son récit, le roman qu’elle essaie d’écrire au début... Et à l’inverse, la narratrice prend certains faits réels pour des illusions, refusant de voir les nombreux indices qui devraient l’alerter sur le pouvoir de nuisance de L. Peu à peu, tout se mélange, jusqu’à une fin très réussie que je ne raconterai pas ici, même s’il y aurait beaucoup à en dire…

Avec ce roman, Delphine de Vigan semble prendre parti face aux accusations de son personnage : quitte à être une affabulatrice, autant jouer le jeu jusqu’au bout et aller au comble de l’imposture, en habillant sa fiction de tous les atours du réel. Son succès prouve que la duperie n’est pas pour déplaire au lecteur ! L’expérience a dû être passionnante.

 

D’après une histoire vraie est selon moi le chef-d’oeuvre de son auteure. En plus d’être captivant et délicieusement manipulateur, le récit est parsemé de références culturelles, littéraires et cinématographiques, qui m’ont donné envie de dévaliser ma médiathèque de quartier - ce que j’ai d’ailleurs fait les jours qui ont suivi ma lecture, en commençant par l’adaptation du livre par Roman Polanski, dont la bande annonce m’avait laissée sceptique...

 

LE FILM

Adapté par Polanski et Olivier Assayas, le roman de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, relève du cinéma de chambre avec, au centre de cette partition modeste et virtuose, Delphine et Elle, dont les interprètes, Emmanuelle Seigner et Eva Green, exécutent des variations étourdissantes sur le thème de la réalité et de la fiction, du désir et du fantasme.

Thomas Sotinel pour Le Monde

si l'on veut bien garder à l'esprit l'ambiance souvent perverse et ironique de Polanski, il semblerait qu'Olivier Assayas et lui, le duo au scénario, ont décidé, en un louable effort généreux et partageur, d'expliquer toutes les erreurs à (ne pas) commettre pour adapter un roman. Mauvais choix dramatiques, mise en scène à côté de la plaque, direction d'actrices absurde.

Eric Libiot pour L’Express

D’après une histoire vraie, le film, sort en 2017 avec Emmanuelle Seigner dans le rôle de Delphine et Eva Green dans le rôle de L.. La bande annonce ne me disait rien qui vaille mais ce choix d’actrices m’a tout de suite paru intéressant. J’ai donc organisé le visionnage du film en famille, sur grand écran, histoire de se mettre dans l’ambiance.

Grande, immense fut ma déception. Je le dis d’entrée de jeu, j’ai trouvé ce film nul. Toute la subtilité du livre a disparu, les actrices jouent mal, l’amitié entre les deux personnages n’est absolument pas crédible. Emmanuelle Seigner joue une Delphine complètement nunuche et la malveillance de L. crève les yeux au point qu’on distinguerait presque une paire de cornes sur la tête d’Eva Green. Cette dernière joue de sa voix grave et envoûtante, et on aurait très envie d’y croire, mais elle en fait trop. Cela sonne comme du mauvais théâtre.

 

Ce qui dans le livre prend du temps à se mettre en place est bâclé dans le film, et à aucun moment je ne me suis laissée bernée par la complicité des deux femmes - pour la simple raison qu’elle est inexistante. Comme tout va trop vite, Delphine passe rapidement pour une femme faible et gémissante alors que son effondrement dans le livre est dû à un long travail de sape. Il est impossible de s’identifier à elle tant elle manque de charisme, de profondeur, de courage ; mais par-dessus tout, ce sont les explications qui manquent, ce cheminement psychologique relaté à la première personne dans le livre qui donne tout son relief à l’histoire. Dans le film, les pensées de Delphine nous restent résolument étrangères. Tout ce qu’on voit, c’est une femme dépassée dont l’attitude cadre mal avec son statut de romancière à succès.

 

Enfin, sacrilège, la fin du livre n’est pas entièrement respectée (ni le début, d’ailleurs) et la réflexion centrale du livre, sur l’opposition réalité/fiction, a perdu beaucoup de sa force en passant à l’écran. Certes, le roman est extrêmement psychologique et certains éléments ne pouvaient pas être adaptés au cinéma en l’état. Mais je ne m’attendais pas à un tel navet !

 

EN BREF

 

Je ne retiens pas grand-chose du film à part les mines dépitées de mes compagnons de visionnage. Il s’agit pour moi de l’adaptation la plus ratée que j’aie eu à commenter jusqu’ici ! C’est d’autant plus dommage que le roman, lui, est extrêmement réussi. J’ai passé un excellent moment à me faire embobiner par une Delphine de Vigan plus surprenante que jamais, et m’empresse déjà de conseiller ce livre autour de moi. Et dire qu’il me faut le rendre à son propriétaire…

 

 

Camille Arthens

 

D’après une histoire vraie, par Delphine de Vigan - JC Lattès

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